Wednesday, March 21, 2012

CE QU'À FAIT PIERRE







CE QU'À FAIT PIERRE

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Voici ce qu'à fait Pierre étant encore petit.
Mon père était marin, me dit-il, et il partit
Loin de nous, plusieurs fois, pour une année entière...
(Je vous repète là les mots que m'a dit Pierre)
Et j'avais vu ma mère, aux soirs d'hiver, souvent
Pleurer, les yeux fermés, en écoutant le vent.

"Pourquoi fermes les yeux, ma mère? -lui dis-je"
"Ah! me répondait-elle, enfant, Dieu nous protège!,
C'est pour mieux regarder dans mon coeur".
- Qu'y vois-tu ?
"Un navire penchant par les vagues battu,
"Et qui porte ton père à travers la tempête!"

Alors, pour m'embrasser elle avançait la tête,
Et moi je lui disais à l'oreille, tout bas:
"Je veux le voir aussi; je ne pleurerais pas."

Mon père revenu, grande rejuoissance,
La maison oublia les tourments de l'absence,
Mais moi, j'avais toujours présents les soirs d'hiver
Oú le vent fait songer sux navires en mer!

Et quand mon père allait pour sortir, fût-ce une heure,
Il disait mécontent: "Voilà Pierre qui pleure!"
Ma mère me prenait alors entre ses bras,
Et quelques fois, mon père, ne sortais pas.

Un soir que je semblais endormi sur ma chaise,
Après souper, ma mère et lui causaient à l'aise:
Et mon père disat: "Demain le bateau part;
"C'est très loin, mais on fait scale quelque part,
"Je t'écrirai de là; sois paisible à m'attendre.

"Quant à Pierre,il est bon, mais trop faible,trop tendre:
"Je n'aime pas ces pleurs, ces cris, ces grands chagrins,
"Il faut une âme forte aux enfants des marins!
"Il m'est dur de quitter un garçon de son âge
"Sans l'embrasser, de peur qu'il manque courage.
"Il faut que je le voie un homme à mon retour!
"S'il savait que demain je pars au point de jour
"Quel désespoir! J'entends partir sans qu'on l'éveille."

Ainsi parlait mon père, et je prêtais l'oreille.
C'était mal d'écouter, je vous en fais l'aveu;
Le bien que j'en tirai du moins, m'excuse un peu.
Voici. Je me dis: "Pierre, ayons nous une âme forte!"
Et quand le lendemain mon père ouvrit sa porte,
À la pointe du jour, doucement, doucement,
Il me vit en travers de la porte - et dormant
sur le tapis du chien, tous les deux côte à côte.

Je m'éveille. Ma mère accourt; moi, tête haute:
Tiens, je ne pleure pas! Je suis un homme, vois
mon père !! ....
C'était lui qui pleurait cette fois.




JEAN AICARD
"La Chanson de l'enfant"
(Delagrave, édit.)






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