Thursday, July 27, 2006

AIMEZ-VOUS BORIS VIAN ?


BORIS VIAN, 1920-1959





Début du livre "J'IRAI CRACHER SUR VOS TOMBES", de Boris Vian


Extrait du Chapitre I.

Personne ne me connaissait à Buckton. Clem avait choisi la ville à cause de cela; et d'ailleurs, même si je m'étais dégonflé, il ne me restait pas assez d'essence pour continuer plus haut vers le Nord. À peine cinq litres. Avec mon dollar, la lettre de Clem, c'est tout ce que je possédais. Ma valise, n'en parlons pas. Pour ce qu'elle contenait. J'oublie : j'avais dans le coffre de la voiture le petit revolver du gosse, un malheureux 6,35 bon marché ; il était encore dans sa poche quand le shérif était venu nous dire d'emporter le corps chez nous pour le faire enterrer. Je dois dire que je comptais sur la lettre de Clem plus que sur tout le reste. Cela devait marcher, il fallait que cela marche.

Je regardais mes mains sur le volant, mes doigts, mes ongles. Vraiment personne ne pouvait trouver à y redire. Aucun risque de ce côté. Peut-être allais-je m'en sortir...Mon frère Tom avait connu Clem à l'université. Clem ne se comportait pas avec lui comme les autres étudiants. Il lui parlait volontiers; ils buvaient ensemble, sortaient dans la Caddy de Clem. C'est à cause de Clem qu'on tolérait Tom. Quand il s'en alla remplacer son père à la tête de la fabrique, Tom dut songer à s'en aller aussi. Il revint avec nous. Il avait beaucoup appris n'eut pas de mal à être nommé instituteur de la nouvelle école. Et puis l'histoire du gosse flanquait tout par terre. Moi, j'avais assez d'hypocrisie pour ne rien dire, mais, pas le gosse. Il n’y voyait aucun mal. Le père et le frère de la fille s'étaient chargés de lui.De là venait la lettre de mon frère à Clem. Je ne pouvais plus rester dans ce pays, et il demandait à Clem de me trouver quelque chose. Pas trop loin, pour qu'il puisse me voir de temps en temps, mais assez loin pour que personne ne nous connaisse. Il pensait qu'avec ma figure et mon caractère, nous ne risquions absolument rien. Il avait peut-être raison, mais je me rappelais tout de même le gosse.

Gérant de librairie à Buckton, voilà mon nouveau boulot. Je devais prendre contact avec l'ancien gérant et me mettre au courant en trois jours. Il changeait de gérance, montait en grade et voulait faire de la poussière sur son chemin. Il y avait du soleil. La rue s'appelait maintenant Pearl Harbor Street. Clem ne le savait probablement pas. On lisait aussi l'ancien nom sur les plaques. Au 270, je vis le magasin, j’arrêtai la Nash devant la porte. Le gérant recopiait des chiffres sur des bordereaux, assis derrière sa caisse; c'était un homme d’âge moyen, avec des yeux bleus durs et des cheveux blond pâle, comme je pus le voir en ouvrant la porte. Je lui dis bonjour.

- Bonjour. Vous désirez quelque chose? - J'ai cette lettre pour vous. - Ah ! C'est vous que je dois mettre au courant. Faites voir cette lettre. Il la prit, la lut, la retourna et me la rendit. —Ce n'est pas compliqué, dit-il. Voilà le stock. (Il eut un geste circulaire.) Les comptes seront terminés ce soir. Pour la vente, la publicité et le reste, suivez les indications des inspecteurs de la boîte et des papiers que vous recevrez. —C'est un circuit? — Oui. Succursales. — Bon, acquiesçai-je. Qu'est-ce qui se vend le plus ? —Oh ! romans. Mauvais romans, mais ça ne nous regarde pas. Livres religieux, pas mal, et livres d'école aussi. Pas beau-coup de livres d'enfants, non plus de livres sérieux. Je n'ai jamais essayé de développer ce côté-là. —Les livres religieux, pour vous, ce n'est pas sérieux. Il se passa la langue sur les lèvres. —Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je ris de bon coeur. —Ne prenez pas ça mal, je n'y crois pas beaucoup non plus. —Eh bien, je vais vous donner un conseil. Ne le faites pas voir aux gens, et allez écouter le pasteur tous les dimanches, parce que sans ça ils auront vite fait de vous mettre à pied. —Oh ! ça va, dis-je. J'irai écouter le pasteur. —Tenez, dit-il en me tendant une feuille. Vérifiez ça. C'est la comptabilité du mois dernier. C'est très simple. On reçoit tous les livres par la maison mère. Il n'y a qu'à tenir compte des entrées et des sorties, en triple exemplaire. Ils passent ramasser l'argent tous les quinze jours. Vous êtes payé par chèques, avec un petit pourcentage. —Passez-moi ça, dis-je. Je pris la feuille, et je m'assis sur un comptoir bas, encombré de livres sortis des rayons par les clients, et qu'il n'avait probablement pas eu le temps de remettre en place. —Qu'est-ce qu'il y a à faire dans ce pays? lui demandai-je encore. —Rien, dit-il. Il y a des filles au drugstore en face, et du bourbon chez Ricardo, à deux blocks.

Il n'était pas déplaisant, avec ses manières brusques. —Combien de temps que vous êtes ici ? —Cinq ans, dit-il. Encore cinq ans à tirer. —Et puis ? —Vous êtes curieux. —C'est votre faute. Pourquoi dites-vous encore cinq ? Je ne vous ai rien demandé. Sa bouche s'adoucit un peu et ses yeux se plissèrent —Vous avez raison. Eh bien encore cinq et je me retire de ce travail. —Pour quoi faire ? —Écrire, dit-il. Écrire des best-sellers. Rien que des best-sellers. Des romans historiques, des romans où des nègres coucheront avec des Blanches et ne seront pas lynchés, des romans avec des jeunes filles pures qui réussiront à grandir intactes an milieu de la pègre sordide des faubourgs. Il ricana. —Des best-sellers, quoi ! Et puis des romans extrêmement audacieux et originaux. C'est facile d'être audacieux dans ce pays; il n'y a qu'à dire ce que tout le monde peut voir en s'en donnant la peine. —Vous y arriverez, dis-je. —Sûrement, j'y arriverai. J'en ai déjà six de prêts. —Vous n'avez jamais essayé de les placer ? —Je ne suis pas l'ami ou l'amie de l'éditeur et je n'ai pas assez d'argent à y mettre. — Alors ? —Alors dans cinq ans, j'aurai assez d'argent. —Vous y arriverez certainement, conclus-je.


[.........................]





On à tourné un film de ce livre de Boris Vian, vers la fin de sa vie.

Boris apprend qu'il doit remettre une adaptation dialoguée du film, de 100 pages, pour le 10 Avril 1958. Il n'en a pas envie, et ne rend rien, les producteurs se font menaçants, il s'insurge, mais rédige 75 pages.

En Janvier 1959, on lui demande une adaptation plus conséquente de "J'irai cracher...", car 75 pages ne sont pas suffisantes. Boris en prend bonne note et leur rend 177 pages. Inutilisable !! La SIPRO fera appel à d'autres adaptateurs, et nomme un réalisateur débutant. En Février 1959, ce même réalisateur déclare à la presse: "On a commencé par faire subir d'incroyables transformations au roman lui-même, et ........"

Boris contre-attaque et rachète le titre du roman pour le revendre à la CTI (Cinéma Television Internationale) pour en faire un autre film. Mais la CTI s'est liguée avec le producteur du film en cours, et s'allie contre Boris.

Cependant, le 22 Juin, Dennis Bourgeois rappelle à Boris Vian que le lendemain est projeté le film "J'irai cracher sur vos tombes" en séance privée, et que sa présence est fortement recommandée.

Le 23 Juin 1959, a 10 heures, Boris Vian se rend au Petit Marbeuf, près des Champs Elysées, et meurt dès les premières scènes,... trop d'émotions, trop de tapages.

Au cimetière de Ville-d'Avray, les employés des pompes funébres sont en grève, ses amis doivent eux-mêmes mettre le cerceuil en terre, scène digne d'un bon roman de Vian.

UNE COURTE VIE POUR UN GRAND HOMME


Boris Vian était en avance sur son temps, ce ne sera que dans les années 70, après le 68, quand on dira 'Faites l'amour, pas la guerre' que l'on découvrira Boris Vian.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home