ALEXIS DE TOCQUEVILLE
PHOTOS: ALEXIS DE TOCQUEVILLE 1805-1859
SOCIOLOGUE FRANÇAIS
"L'ÉGALITÉ SANS LA LIBERTÉ N'EST EN AUCUN CAS SATISFAISANTE.
L'ACCEPTER C'EST SE PLACER DANS LA DÉPENDANCE."
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TOCQUEVILLE PRECURSEUR DES LIBERTÉS
Alexis-Henri-Charles Clérel, vicomte de Tocqueville, issu d’une famille légitimiste de la noblesse normande, né à Paris le 29 juillet 1805 et mort à Cannes le 16 avril 1859, fut un penseur politique, historien et écrivain français.
Il est célèbre pour ses analyses de la Révolution française, de la démocratie américaine et de l'évolution des démocraties occidentales en général.
Raymond Aron, entre autres, a mis en évidence son apport à la sociologie.
François Furet, quant à lui, a mis en avant la pertinence de son analyse de la Révolution française.
Son œuvre a depuis peu une influence considérable sur le libéralisme et la pensée politique, au même titre que Hobbes, Montesquieu, et Rousseau.
Alexis de Tocqueville compte plusieurs aïeux illustres de la noblesse Normande.
Il est par sa mère arrière-petit-fils de Malesherbes et neveu du frère aîné de Chateaubriand.
Ses parents, ultra-royalistes, Hervé Clérel de Tocqueville, comte de Tocqueville, soldat de la Garde constitutionnelle du Roi Louis XVI, et Louise Madeleine Le Peletier de Rosanbo, évitent la guillotine grâce à la chute de Robespierre en l'an II (1794).
Après un exil en Angleterre, ils rentrent en France durant l'Empire, et Hervé de Tocqueville devient pair de France et préfet sous la Restauration.
Alexis Charles Henry de Tocqueville,
Représentant du Peuple.
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Suivant l'enseignement de François Guizot[, et licencié de droit, Alexis de Tocqueville est nommé juge auditeur en 1827 au tribunal de Versailles où il rencontre Gustave de Beaumont, substitut, qui collaborera à plusieurs de ses ouvrages.
Après avoir prêté à contre-cœur serment au nouveau régime, tout deux sont envoyés aux États-Unis (en 1831) pour y étudier le système pénitentiaire américain, d'où ils reviennent avec "Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application (1832)".
Il s'inscrit ensuite comme avocat, et publie en 1835 le premier tome "De la démocratie en Amérique (le deuxième en 1840), œuvre fondatrice de sa pensée politique".
En 1840, il est reçu en Angleterre par son ami John Stuart Mill, et publie son essai L'État social et politique de la France avant et depuis 1789 qui formera ses grandes bases de réflexions sur l'ancien régime et la révolution.
Grâce à son succès, il est nommé chevalier de la légion d'honneur (1837) et est élu à l'Académie des sciences morales et politiques (1838), puis à l'Académie française (1841).
À la même époque il entame une carrière politique, en devenant en 1839 député de la Manche (Valognes), siège qu'il conserve jusqu'en 1851.
Il défendra au Parlement ses positions abolitionnistes et libre-échangistes, et s'interrogera sur la colonisation, en particulier en Algérie.
Ce « libéral-conservateur » se fera aussi témoin du «rapetissement universel» emporté par la promotion au pouvoir d'une classe moyenne «ne songeant guère aux affaires publiques que pour les faire tourner au profit de ces affaires privées>> (Souvenirs).
En 1842, il est également élu conseiller général de la Manche par le canton de Sainte-Mère-Église, qu'il représente jusqu'en 1852.
Le 6 août 1849, il est élu, au second tour de scrutin par 24 voix sur 44 votants, président du conseil général, fonction qu'il occupe jusqu'en 1851.
Après la chute de la Monarchie de Juillet, il est élu à l'Assemblée constituante de 1848.
Il est une personnalité éminente du parti de l'Ordre, un parti résolument conservateur.
Prenant conscience du poids de la classe ouvrière et l'émergence du socialisme avec la Révolution française de 1848 qu'il considère comme une trahison avec la révolution de 1789, il approuvera sans aucune réserve la répression des Journées de Juin.
Il est membre de la Commission chargée de la rédaction de la constitution.
Il y défend surtout les institutions libérales, le bicamérisme, l'élection du président de la République au suffrage universel, et la décentralisation.
Il est élu à l'Assemblée législative dont il devient vice-président.
Hostile à la candidature de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence, lui préférant Cavaignac, il accepte cependant le ministère des Affaires étrangères entre juin et octobre 1849 au sein du deuxième gouvernement Odilon Barrot.
Opposé au Coup d'État du 2 décembre 1851, il fait partie des parlementaires qui se réunissent à la mairie du Xe arrondissement et votent la déchéance du président de la république.
Incarcéré à Vincennes puis relâché, il quitte la vie politique.
Retiré en son château de Tocqueville, il entame l'écriture de L'Ancien Régime et la Révolution, paru en 1856, dont le sujet porte sur le centralisme français.
La seconde partie reste inachevée quand il meurt en convalescence à la Villa Montfleury de Cannes le 16 Avril 1859, où il s'était retiré six mois plus tôt avec sa femme, pour soigner sa tuberculose.
Il est enterré au cimetière de Tocqueville.
La pensée de Tocqueville
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Considéré comme l'un des défenseurs historiques de la liberté et de la démocratie, anti-collectiviste refusant toute interprétations socialisantes, il est l'une des plus grandes références des libéraux et de la philosophie politique.
Théoricien du colonialisme, légitimant l'expansion française en Afrique du Nord (1841-1846), il fustige néanmoins la barbarie des armées françaises en Afrique, s'oppose à l'application du régime militaire en Algérie (1848), et défend parmi les premiers l'abolition de l'esclavage dans les colonies (1839)[10].
Parallèlement, Tocqueville refuse les considérations de la thèse de son ami Joseph Arthur de Gobineau (Essai sur l'inégalité des races humaines).
Sceptique et hanté par la corruption de la démocratie et le déclin des valeurs aristocratiques, il défendra aussi une vision «de la puissance et de la grandeur nationale», prospectivant le «nationalisme du siècle suivant».
Son œuvre fondée sur ses voyages aux États-Unis est une base essentielle pour comprendre ce pays et en particulier lors du XIXe siècle.
Même si une des raisons profondes de son voyage est de partir pour éviter les regards malveillants de par ses origines aristocrates, Tocqueville était surtout avide de rencontrer une «grande république», libérale et fédérale.
On sait qu'il a aussi consulté une documentation, on peut citer trois ouvrages essentiels : Le Fédéraliste par Alexander Hamilton, James Madison, et John Jay, puis James Kent (Commentaries On American Law) et Joseph Story (Commentaries on the Constitution of the United States), deux juristes aux opinions conservatrices.
Ces ouvrages et commentaires ont le point commun de défendre des positions fédéralistes.
La Démocratie pour Tocqueville
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Durant son séjour aux États-Unis, Tocqueville s'interroge sur les fondements de la démocratie.
A la différence de Guizot, qui voit l'histoire de France comme une longue émancipation des classes moyennes, il pense que la tendance générale et inévitable des peuples est la démocratie.
Selon lui, celle-ci ne doit pas seulement être entendue dans son sens étymologique et politique (pouvoir du peuple) mais aussi et surtout dans un sens social.
L'égalisation des conditions
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Ainsi la première caractéristique de la société démocratique est l'égalité des conditions.
Celle-ci n'est pas rigoureusement définie chez Tocqueville.
Elle est à la fois un principe et un fait et ce qu'elle recouvre évolue avec la société démocratique.
Plus précisément l'égalité des conditions est «imaginaire», n'annulant pas l'inégalité économique mais modifiant l'ensemble des relations entre les hommes, en faisant de l'égalité la norme.
Autrement dit, l'égalité des conditions implique l'absence de castes et de classes tout en indiquant que celle-ci n'équivalait pas à la suppression de la hiérarchie sociale ou politique.
Contrairement à la société aristocratique, aucun des membres de la société démocratique ne subit sa destinée du fait de la position sociale qu'il occupe et la hiérarchie sociale ne renvoie plus à un ordre social préétabli qui assigne à chacun une place, des droits et des devoirs propres.
L'égalité des conditions constitue une autre appréhension de la structure sociale : les positions ne sont certes pas équivalentes mais elles ne cristallisent pas la totalité de l'existence sociale des individus.
Ce qui fait que la condition sociale évolue avec la société démocratique (la fortune ou la propriété voient leur rôle se transformer).
L'égalité des conditions se redéfinit sans cesse et ne peut se dissocier de la dynamique sociale. Mais plus que d'égalité, il faut parler d'égalisation dans la perspective de l'ordre social démocratique.
Pour exemple Tocqueville expose la relation qui s'établit entre un maître et son serviteur dans la société démocratique par rapport à celle qui règne dans la société aristocratique.
Dans les deux cas il y a inégalité mais dans l'ancienne société elle est définitive alors que dans la société moderne elle est libre et temporaire.
Libre car c'est un accord volontaire, que le serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il y trouve un intérêt.
Temporaire parce qu'il y a le sentiment désormais partagé entre le maître et le serviteur qu'ils sont fondamentalement égaux. Le travail les lie par contrat et une fois terminé, en tant que membres du corps social, ils sont semblables.
Les situations sociales peuvent être inégalitaires, mais elles ne sont pas attachées aux individus.
Ce qui compte c'est l'opinion qu'en ont les membres de la société: ils se sentent et se représentent comme égaux, et le sont comme contractants.
L'égalité des conditions est donc un fait culturel, une construction sociale, une représentation.
C'est cette attitude mentale qui fait de l'homme démocratique un homme nouveau dont les actes sont marqués par ce qui prend l'allure d'une évidence.
L'égalité des conditions pour Tocqueville articule ce qui est de l'ordre du principe : absence de distinctions sociales fondées juridiquement, égalité des droits, sentiment collectif de l'égalité néanmoins «égalité imaginaire» car tout de même l'égalité civile peut coexister avec l'inégalité économique ou politique.
Paradoxalement, l'égalité des conditions en fragilisant toutes les relations hiérarchiques de subordination (entre les maîtres et les serviteurs, les hommes et les femmes, les adultes et les enfants) tend à détruire les liens de dépendance, et de protection que le monde aristocratique a pu préserver.
Mais pour Tocqueville, il y a quasi équivalence entre la démocratie (au sens politique) et l'égalité des conditions.
Il considère que tous les hommes possèdent comme attribut la liberté naturelle, c’est-à-dire la potentialité d'agir librement.
La liberté se traduit dans la cité par l'égalité des droits civils et civiques.
On fait référence ici à la liberté c'est-à-dire de ne pas être obligé de faire telle ou telle chose, mais aussi la liberté de prendre part à la vie publique.
L'égalité des conditions renvoie à la citoyenneté.
Donc, comment recréer les liens entre les êtres humains que la démocratie, par l'égalité des conditions, tend à détruire sans contredire l'égalité ?
C'est à partir de cette question que Tocqueville va développer un «libéralisme aristocratique».
Comme Rousseau ou Montesquieu, Tocqueville répond à cette question d'une part en enracinant le citoyen dans la vie politique par la décentralisation, les associations, etc.
Et d'autre part par des contre-pouvoirs d'esprits aristocrates, notamment par le rôle joué par le pouvoir judiciaire.
«Armé du bras droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, le magistrat américain pénètre sans cesse dans les affaires politiques. Il ne peut pas forcer le peuple à faire des lois, mais du moins il le contraint à ne point être infidèle à ses propres lois et à rester d'accord avec lui-même.»
— Alexis de Tocqueville dans « Démocratie en Amérique » (Œuvre complète, vol. I, p. 280)
Les caractéristiques de la société démocratique
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La nouvelle société est mobile, matérialiste et assure différemment l'intégration de ses membres.
Dans la société aristocratique, les positions sociales sont figées.
Or pour Tocqueville, à partir du moment où il n'existe plus aucun obstacle juridique ou culturel au changement de position sociale, la mobilité sociale (ascendante ou descendante) devient la règle.
La transmission de l'héritage ne suffit plus à maintenir un niveau social et la possibilité de s'enrichir se présente à tous.
La société démocratique apparaît comme une société où les positions sociales sont constamment redistribuées.
Cette société ouverte permet une transformation de la stratification sociale, des normes et des valeurs.
Dans une société où les positions sociales sont héréditaires, chaque classe pouvait développer des traits communs suffisamment marqués pour lui permettre d'affirmer des valeurs propres.
En revanche, dans la société démocratique les traits culturels de chaque classe s'estompent au profit d'un goût commun pour le bien être. Ce matérialisme s'affirme lorsque l'accès à la richesse devient possible pour les pauvres et que l'appauvrissement menace les riches.
Les dynamiques de la société démocratique
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Tocqueville va montrer les mécanismes par lesquels on tend vers l'état de la société : l'égalité est un principe, l'égalisation un processus.
La question est de savoir comment et pourquoi la société démocratique est appelée à suivre un tel mouvement.
Pour Tocqueville si l'égalité est hors d'atteinte, c'est pour deux raisons :
d'une part les hommes sont naturellement inégaux, d'autre part, le fonctionnement de la société démocratique est lui-même à l'origine de mouvements inégalitaires.
L'inégalité naturelle des individus fait que certains possèdent certaines aptitudes intellectuelles ou physiques.
Or en démocratie c'est l'intelligence qui est la première source des différences sociales.
Il y a une institutionnalisation des inégalités fondées sur le mérite, on parle donc de méritocratie.
Si les dispositions intellectuelles ne sont pas équivalentes, il est possible par l'instruction d'égaliser les moyens de leur mise en œuvre.
Comme il a été dit plus haut, la société démocratique se caractérise par la mobilité sociale et la recherche du bien-être matériel.
Pour des raisons diverses comme les inégalités naturelles, certains réussiront mieux que d'autres.
Il y a donc un paradoxe puisque l'égalité des conditions conduit à alimenter les inégalités économiques.
Si les membres de la société démocratique cherchent à s'enrichir, c'est aussi pour se différencier socialement.
Il y a donc la conjonction de deux mouvements : une aspiration égalitaire (conscience collective) et une aspiration inégalitaire (conscience individuelle). L'homme démocratique désire l'égalité dans le général et la distinction dans le particulier.
La société démocratique est de cette manière traversée par des forces divergentes. D'une part un mouvement idéologique irréversible qui pousse vers toujours plus d'égalité et de l'autre des tendances socio-économiques qui font que les inégalités se reconstituent sans cesse.
Les risques de la société démocratique
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« Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés.
Cette passion tend à élever les petits au rang des grands; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté. »
— Alexis de Tocqueville - "De la démocratie en Amérique", T. I, première partie, chap. III (Vrin).
C'est dans le renoncement à la liberté que se trouve le danger majeur pour la société démocratique.
Le premier risque est celui de la tyrannie de la majorité:
Un régime politique se caractérise par la règle de la majorité qui veut que, par le vote, la décision soit celle du plus grand nombre.
Tocqueville relève que la démocratie comporte le risque d'une toute puissance de la majorité.
Parce qu'il s'exerce au nom du principe démocratique, un pouvoir peut s'avérer oppressif à l'égard de la minorité qui a nécessairement tort puisqu'elle est minoritaire.
Il est évident que le vote traduit des divergences d'intérêt et de convictions au sein de la société. Il peut ainsi se faire que la poursuite de l'égalité s'exerce au détriment exclusif d'une partie de la population.
Selon Tocqueville la démocratie engendrerait le conformisme des opinions dans la société à cause de la moyennisation de la société.
Ainsi il dénonce l'absence d'indépendance d'esprit et de liberté de discussion en Amérique.
Quand toutes les opinions sont égales et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice effectif des droits politiques.
La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guettent les sociétés démocratiques : le despotisme.
Enfin le deuxième risque des sociétés démocratiques selon Tocqueville est le despotisme démocratique.
Les hommes démocratiques sont dominés par deux passions: celles de l'égalité et du bien-être.
Ils sont prêts à s'abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de satisfaire l'un et l'autre même au prix de l'abandon de la liberté.
Les hommes pourraient être conduits à renoncer à exercer leur liberté pour profiter de l'égalité et du bien-être.
Les individus pourraient remettre de plus en plus de prérogatives à l'État.
Dans les sociétés démocratiques, il est plus simple de s'en remettre à l'État pour assurer une extension de l'égalité des conditions dans le domaine politique qui est encadré par les lois.
C'est l'État qui a pour charge leur élaboration et leur mise en œuvre.
A partir de là, l'État peut progressivement mettre les individus à l'écart des affaires publiques.
Il peut étendre sans cesse les règles qui encadrent la vie sociale.
Le despotisme prend la forme d'un contrôle.
On arrive ainsi à l'égalité sans la liberté.
La société démocratique transforme le lien social en faisant émerger un individu autonome.
C'est une source de fragilisation qui peut déboucher sur une attitude de repli sur soi.
Tocqueville va montrer que l'individualisme peut naître de la démocratie.
La démocratie brise les liens de dépendance entre individus et entretient l'espérance raisonnable d'une élévation du bien-être ce qui permet à chaque individu ou à chaque famille restreinte de ne pas avoir à compter sur autrui.
Il devient parfaitement possible pour son existence privée de s'en tenir aux siens et à ses proches.
« L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ».
En choisissant de se replier sur ce que Tocqueville appelle «la petite société», les individus renoncent à exercer leurs prérogatives de citoyen.
L'égalisation des conditions en rendant possible l'isolement vis-à-vis d'autrui remet en cause l'exercice de la citoyenneté.
Le premier danger de la société démocratique est de pousser les citoyens à s'exclure de la vie publique.
La société démocratique peut donc conduire à l'abandon de leur liberté par ses membres, parce qu'ils sont aveuglés par les bienfaits qu'ils attendent de toujours plus d'égalité directement ou indirectement.
Tocqueville souligne que l'égalité sans la liberté n'est en aucun cas satisfaisante. L'accepter c'est se placer dans la dépendance.
Selon Tocqueville, une des solutions pour dépasser ce paradoxe, tout en respectant ces deux principes fondateurs de la démocratie, réside dans la restauration des corps institutionnels intermédiaires qui occupaient une place centrale dans l'Ancien Régime (associations politiques et civiles, corporations, etc.).
Seules ces instances qui incitent à un renforcement des liens sociaux, peuvent permettre à l'individu isolé face au pouvoir d'État d'exprimer sa liberté et ainsi de résister à ce que Tocqueville nomme «l'empire moral des majorités».
Le changement social selon Tocqueville
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Pour Tocqueville, le changement social résulte de l'aspiration à l'égalité des hommes.
Pour lui, si l'humanité doit choisir entre la liberté et l'égalité, elle tranchera toujours en faveur de la seconde, même au prix d'une certaine coercition, du moment que la puissance publique assure le minimum requis de niveau de vie et de sécurité.
L'enjeu, toujours d'actualité, est l'adéquation entre cette double revendication de liberté et d'égalité : «les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales; mais il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères ».
Sous-estimé en France pendant plusieurs décennies, notamment à cause de la prééminence du marxisme, mais toujours lue surtout aux États-Unis et par les catholiques Français (ou Européens) ralliés à la démocratie et les libéraux, l'œuvre de Tocqueville fut remise à l'honneur, par le déclin idéologique et politique du socialisme d'une part, d'autre part par la mutation (de la vie) intellectuelle des sociétés après la seconde guerre mondiale: avec la démocratie.
Et enfin par Raymond Aron, dans les années cinquante (notamment dans son Essai sur les libertés), qui sut reconnaître en Tocqueville un précurseur.
Par la suite, il est devenu une référence dans différents horizons ou disciplines, les historiens François Furet, André Jardin, Pierre Birnbaum, les philosophes Pierre Manent, Claude Lefort, Marcel Gauchet, et les sociologues Louis Dumont, Raymond Boudon contribuèrent à comprendre la richesse de l'œuvre de Tocqueville.
Plus récemment, le monde juridique a également redécouvert Tocqueville, non seulement en raison de sa profession d'avocat mais également pour ses contributions au droit constitutionnel, français en 1848 et américain.
Il a influencé divers penseurs en France, Hippolyte Taine, F. Le lay, Georges Sorel.
Il a échangé des correspondances avec son ami Joseph Arthur de Gobineau précisant qu'il ne partageait pas l'ensemble de ses thèses en particulier son fatalisme.
Mais c'est sans doute à l'étranger que Tocqueville fut le plus reconnu de son vivant et au XXe siècle:
en Angleterre, par son ami John Stuart Mill, Lord Acton, Harold Laski,
en Allemagne, avec Georg Simmel, Jacob Burckhardt, Ferdinand Tönnies, voire Max Weber, et Wilhelm Dilthey.
en Norvège, il a influencé Jon Elster.
Aux États-Unis, il reste régulièrement cité par l'ensemble de la classe politique gouvernementale ou fédérale, suscitant des travaux et publications (David Riesman, Richard Sennett, et du conservateur Robert Nisbet), mais aussi de (re)traductions et de controverses.
Ainsi, en l’an 2000, avec la retraduction de "De la démocratie en Amérique" par Harvey Mansfield et Delba Winthrop, d'importantes discussions parfois d'altercations : Tocqueville s’est vue étiquetée de penseur de et à droite.
Quelques ouvrages recents:
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Lucien Jaume, Tocqueville : Les sources aristocratiques de la liberté, Fayard, 2008, 473pp., (ISBN 978-2213635927)
Éric Keslassy, Le libéralisme de Tocqueville a l'épreuve du paupérisme, Paris, L'Harmattan, 2000, 285 p. (ISBN 2-738-49221-5)
Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Fayard, 1993, 181 p. (ISBN 2-213-03036-7) (rééd. Tel-Gallimard, 2006)
Olivier Meuwly, Liberté et société : Constant et Tocqueville face aux limites du libéralisme moderne, Genève, Droz, 2002, 258 p. (ISBN 2-600-00630-3)
Serge Audier, Tocqueville retrouvé : Genèse et enjeux du renouveau tocquevillien, Paris, Librairie Philosophique Vrin, 2004, 322 p. (ISBN 2-711-61630-4), Paris, Vrin, 2004
Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, "Grands dictionnaires", 1998. Réédition 2003.
Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, "Quadrige dicos poche", 2009.
Serge Audier, « Alexis de Tocqueville », in Sylvie Mesure, Patrick Savidan (dir.), PUF, "Quadrige dicos poche", 2006.
François Furet : Notice sur «De la démocratie en Amérique» in Olivier Duhamel, Dictionnaire des œuvres politiques, PUF, "Quadrige dicos poche", 2001
Laurence Guellec (éditeur), «Tocqueville et l’esprit de la démocratie»,
La Revue Tocqueville, numéro spécial bicentenaire 1805-2005, vol. 26, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, 531 p.
La revue Tocqueville, depuis 1979, semestriel (1979-1984, 1992-), biannuel (1985-1991), Tocqueville Society, Rochester, MN. Web : http://www.tocqueville-review.org
Alexis de Tocqueville et le Bas-Canada en 1831 - Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française
Essè Amouzou, "La sociologie de ses origines à nos jours", L'Harmattan, 2008, p. 104.
* Il faut aussi rappeler que les libéraux comme Rousseau ou Montesquieu croyaient impossible une république dans un grand pays.
"La Pensée juridique d'Alexis de Tocqueville",colloque, Artois Presses Université, 2005;
Arnaud Coutant, "Tocqueville et la constitution démocratique", Paris, Mare et Martin, 2008, 680 p.
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